Deux temps, deux mesures
- The Odyssey
- Jul 30, 2018
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Une des choses qui nous ont surpris au cours des quelques semaines passées au Népal, est la cohabitation entre deux calendriers. D’une part le calendrier grégorien, qu’on utilise en Occident, est particulièrement présent dans les villes, mondialisation oblige. D’autre part le calendrier népalais hindou : le Vikram Samvat fait lui, office de référence dans l’administration, les écoles et de manière générale partout dans le pays… En bref, une double grille de lecture permanente pour les népalais qui semble bien contraignante ! Cette coexistence qui perdure est-elle uniquement un choix culturel pour conserver un calendrier en réalité moins efficace et moins pratique que son homologue occidental ? Les népalais seraient-ils à l’image des protestants anglais qui ont refusé la réforme calendaire grégorienne initiée par le Vatican pendant près de deux siècles ? Selon l’astrologue Kepler, « ils préféraient être en désaccord avec le Soleil plutôt qu’en accord avec le pape » …
Le calendrier Vikram Samvat a été créé en -57 JC, sous le règne du roi Vikramaditya. Il conserve ces années de décalage avec le calendrier grégorien au cours des siècles puisque le Népal a fêté le 15 avril dernier le début de l’année 2075. L’année est ainsi organisée car cette date annonce l’arrivée prochaine de la mousson, période jugée « défavorable ». [1]Cette période concentre donc les principales fêtes religieuses afin de rétablir « l’ordre perturbé », fêtes fixées tous les ans par une commission d’astrologues appelés « patro ».
Tout d’abord, il s’agit d’un calendrier « lunaire » [2]au contraire du calendrier grégorien qui est « solaire ». En effet, chacun des douze mois du Vikram Samvat correspond à une période lunaire, soit environ 29 jours. En revanche, chaque mois n’est pas divisé en journées de 24h mais en 30 « Tithis », « jours lunaires ». Un Tithi étant la durée que cela prend pour que l’angle longitudinal entre le Soleil et la Lune augmente de 12°, il varie donc entre 19 et 26 heures. Cela peut, à première vue, sembler dérangeant au quotidien d’avoir des unités quotidiennes de durée variable. Mais la durée d’un Tithi vient d’un indicateur astrologique naturellement observable, de même que l’unité de mesure occidentale -la journée- provient à l’origine d’un autre indicateur : l’observation de la période de révolution terrestre autour du Soleil. Cependant, les instruments de mesure du temps communément utilisés ont été forgés pour le calendrier grégorien. En effet, la montre décompte les secondes, qui, jusqu’à la deuxième moitié du 20ème siècle, n’étaient que de simples subdivisions d’une journée. Ces horloges, réveils, téléphones portables déferlant dans les campagnes népalaises grâce à notre économie mondialisée sont donc porteurs d’une vision du temps intrinsèquement grégorienne et occidentale. Et ce sont bien ces outils techniques qui rendent le calendrier grégorien plus pratique pour les nouvelles générations de népalais.
Autre spécificité, le Vikram Samvat ne durant « que » 354,61 jours, comparés aux 365,24 jours d’une année tropique -durée entre deux solstices d’été- il est nécessaire de faire une adaptation en ajoutant un mois supplémentaire tous les 3 ans environ. Mais le calendrier grégorien opère lui aussi certaines corrections pour rester en phase avec l’année tropique, puisqu’il faut ajouter un jour lors des années bissextiles- c’est-à-dire tous les 4 ans à l’exception des années séculaires – millésime s’achevant par deux zéros – qui ne sont bissextiles que si leur millésime est divisible par 400. Une règle en remplace une autre. Dès lors, comment objectivement juger de l’efficacité de l’une ou de l’autre de ces adaptations étant donné l’omniprésence de nos biais culturels, habitudes et traditions ?
Au Népal, le calendrier grégorien se développe plus par soucis de concordance avec le reste du monde que parce qu’il serait plus efficace en tant que tel. Cependant, la mondialisation impose ses habitudes de consommation ses outils de mesure du temps, ce qui rend le calendrier grégorien plus pratique. La coexistence des deux calendriers népalais et grégorien est donc la cohabitation entre deux véritables systèmes de pensée qui ont créé leurs propres règles pour garder le lien avec l’année tropique solaire. La tendance à l’effacement de cette coexistence au profit du seul calendrier grégorien, n’uniformiserait-elle pas également le rapport au quotidien, à la culture et à la nature de la société népalaise ? De nombreuses autres questions restent en suspens à la suite de nos réflexions. Comment un calendrier s’impose-t-il dans une culture ? Quels rôles jouent les outils dans cette imposition ? En effet, on ne peut formaliser ce qu’on ne peut mesurer. Enfin, l’efficacité d’un calendrier n’est-elle que la concordance avec l’année tropique ? La facilité à organiser le quotidien pourrait aussi être une piste
[1] http://www.souriresdunepal.fr/calendrier-nepalais
[2] https://en.wikipedia.org/wiki/Vikram_Samvat
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