[FR][Point de vue] [Technologie ≠ Progrès]
- The Odyssey
- Apr 26, 2018
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La technique est aujourd’hui incarnée par des objets « high-tech » tels que les smartphones, les voitures électriques Tesla d’Elon Musk. Cette déferlante de technologie inonde la Rue. Mais les manifestations quotidiennes du progrès technique sont-elles encore pour autant des manifestations de Progrès ?
On vit dans une époque où l’on devient presque marginalisé si l’on n’utilise pas de smartphone et les nombreuses fonctionnalités qu’il offre dans l’immédiat. Il est vrai que les avancées technologiques récentes ont permis des évolutions conséquentes dans l’accès au savoir (Wikipédia), la possibilité d’éviter des déplacements pour communiquer (Skype), l’anticipation de catastrophes (prévisions sismiques ou cycloniques). Sans les rejeter dans leur globalité, force est de constater que ces avancées interviennent simultanément avec l’accélération de phénomènes d’origine anthropique que l’on connait déjà bien désormais : la pollution atmosphérique, la dégradation des sols et des écosystèmes en général… La notion de « progrès technique » est redéfinie constamment. Sans faire un historique de son évolution, on est passé depuis la Préhistoire de l'idée de « création de nouveaux outils » à celle au XXème siècle de «l’amélioration des méthodes de production afin d’augmenter la productivité ». Ces améliorations de productivité ont rendu les innovations technologiques précédemment évoquées possibles et ont contribué à leur démocratisation. Mais il semblerait même que la notion de « progrès technique » soit en train de subir une nouvelle transformation en se réincarnant dans les produits des start-up, se mesurant par leur caractère « innovant ». Étant donné la définition de Progrès, entendu comme évolution régulière de l’humanité et vers un but Idéal, peut-on encore parler de Progrès technique ? Est-il souhaitable que ce But Idéal change à son tour ?
LES VICES CACHÉS DU HIGH-TECH Contrairement aux moyens de productions industriels traditionnels, le high-tech garde une image parfaitement écologique: les flux d’énergie matériels laisseraient place à des flux d’informations immatériels, la complexification rimerait avec optimisation. Premièrement, la supposée « dématérialisation » de l’économie est un mythe. Le volume de données échangé exponentiel est stocké dans des data-centers très énergivores et transporté par de gigantesques câbles entre les pays et continents. Les ordinateurs et téléphones portables, briques élémentaires de la « révolution numérique », tout comme les éoliennes et batteries de voitures électriques, nécessitent des quantités impressionnantes de métaux rares. De plus, les exigences du consommateur à l’échelle mondiale impliquent des ressources supplémentaires sur toute la chaine de production : des outils plus précis pour la fabrication, une consommation énergétique croissante pour assurer l’amélioration en puissance et résolution, une miniaturisation qui nuit aux possibilités de recyclage. Sans parler d’obsolescence programmée, les produits sont généralement moins durables et réparables. Mais ces produits High-tech sont à l’image des souhaits du consommateur.
LES INDICATEURS DU PROGRÈS ACTUELS Pour beaucoup, le Progrès actuel se matérialise dans les innovations des start-ups les plus ambitieuses. Sans contester les prouesses techniques de ces dernières, force est de constater que règne une vraie discontinuité dans l’idée de Progrès. Celle-ci ne se mesurerait plus qu’à travers une succession décousue d’innovations qui favoriseraient quelques aspects de notre confort de vie - qui n’a pas rêvé du dernier « oreiller connecté »-. On est loin des idéaux du Progrès du siècle des Lumières, ou celui plus récent au XXème siècle de l’augmentation de la productivité. On ne comprend guère plus dans la notion actuelle l’idée positive de « progression », de mouvement en avant. Qu’est-ce qui guide aujourd’hui la recherche et l’innovation dans le secteur de l’industrie ? En prenant l’exemple de l’automobile, on voit que malgré les avancées technologiques la consommation de carburant des voitures citadines actuelles est à peine meilleure que celle de la 2CV ! Le poids de la voiture a augmenté pour assurer la sécurité à de plus grandes vitesses au lieu de privilégier des critères écologiques. En ce qui concerne l’agroalimentaire, on cherche à maximiser le profit à hectare, alors que prioriser le nombre de calories pour une surface donnée permettrait de nourrir plus de personnes, sauvegarder les terres arables plus facilement. Compte-tenu des impératifs écologiques, veut-on encore demain d’un progrès technique poussant vers toujours plus consommation de ressources et d’énergie, vers moins de réparabilité et de recyclage ?
QUEL PROGRÈS DEMAIN ? Oscar Wilde disait « le Progrès, c’est réaliser des utopies ». Se demander comment concevoir le Progrès demain revient à se poser la question du But Idéal à poursuivre pour l’humanité. La place de la technique de manière globale est à redéfinir. En tant que simple outil pour parvenir à des besoins définis par le consommateur, la technique semble a priori inattaquable en soi. Mais si l’homme transforme l’outil, l’outil transforme également l’homme par les possibilités qu’il lui offre. Comment encadrer un outil occasionnellement dangereux pour l’environnement -et donc les hommes- tel que la technologie ? La nature de la création technique est à questionner également. L’ingénierie de demain ne sera pas un recul technologique de plusieurs siècles, mais faire un arbitrage incessant entre techniques nécessaires et contingentes, entre High-Tech et Low-Tech. Par exemple, le remplacement dans des villages isolés de pays d’Afrique sub-saharienne de groupes électrogènes individuels -technologiquement simple- par des réseaux de systèmes solaires– technologiquement plus complexe- permet dans ce cas d’avoir un impact environnemental positif. Outre que la maintenance et l’exploitation de ces systèmes collectifs génère un savoir-faire et des emplois locaux, la mise en commun à l’échelle d’un village des moyens de production d’énergie est un puissant outil de cohésion. Un choix technique est également un choix social. Il ne s’agit pas de faire preuve de misonéisme-peur du nouveau- mais de se demander où bien orienter les compétences et savoirs de demain. Des domaines de recherche comme l’efficacité énergétique, la chimie du vivant, la permaculture ont des besoins humains et financiers conséquents. Un mouvement de transition de mode de vie de grande ampleur ne pourra advenir sans la notion de Progrès. Cette notion est clé pour structurer un discours écologique « positif », qui est à la base de toute pensée majeure. Cela peut passer par un changement de vocabulaire (post-croissance plutôt que décroissance ?), l’émergence de récits et de mythes fondateurs (Notre-Dame des Landes, nouveau lieu de pèlerinage ?), mais également par une nouvelle façon de concevoir techniquement.
(publié par Gaspard Perreau-Saussine)
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